Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 novembre 2022, 21-23.505, Publié au bulletin

L’usufruitier maître d’ouvrage n’est pas titulaire de l’action en responsabilité décennale (a). Il peut en revanche agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun à l’encontre du locateur d’ouvrage (b)

L’usufruitier maître d’ouvrage n’est pas titulaire de l’action en responsabilité décennale (a). Il peut en revanche agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun à l’encontre du locateur d’ouvrage (b)

Chambre civile 3, 16 novembre 2022, 21-23.505

a. Une société, usufruitière d’un bâtiment, fait réaliser sur ce bâtiment des travaux de charpente métallique. Un litige survient avec le locateur d’ouvrage tant sur le solde du prix que sur l’existence de désordres.

Le maître d’ouvrage recherche la responsabilité décennale du constructeur, et voit sa demande rejetée au motif qu’il n’est pas propriétaire de l’ouvrage.

Un pourvoi est formé sur ce premier point pour violation de l’article 1792, la société demanderesse se prévalant de sa qualité de maître d’ouvrage, il est vrai en accord avec la lettre du texte de l’article 1792 qui vise « le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage », sans explicitement réserver, donc, l’action au propriétaire.

Pour autant, le texte doit s’entendre selon la Cour de Cassation de la façon suivante : « le maître d’ouvrage propriétaire ou le sous acquéreur de l’ouvrage ». Dit encore plus simplement, finalement : « le propriétaire de l’ouvrage ».

La solution avait déjà été donnée pour le simple locataire, maître d’ouvrage de travaux, à qui la Cour de cassation avait refusé le bénéfice de l’action en responsabilité décennale.

La solution est ici appliquée, pour la première fois à notre connaissance, à l’usufruitier.

Ainsi une solution déjà ancienne est-elle confirmée : l’action en responsabilité décennale est attachée à la propriété et non à la qualité de contractant dans le contrat d’entreprise.

Dans la pratique du crédit-bail, la question est fréquemment contournée par l’insertion d’une clause rendant le crédit-preneur bénéficiaire de l’action en responsabilité décennale ; cela étant l’efficacité de cette clause pourrait se heurter à l’ordre public du régime de la responsabilité décennale (article 1792-5 du code civil)

Dans le contexte des actions conduites par des copropriétaires joignant leur action pour des désordres en partie privatives à l’action syndicale, cela impose de faire évoluer la liste des demandeurs au fur et à mesure des cessions de lots survenant pendant la durée de l’instance, ce qui, pour des procédure de longue haleine, impose une rigueur de gestion complexe à organiser (le vendeur perd en effet la qualité de titulaire de l’action, qui se transmet avec le bien, sauf, selon la solution donnée depuis l’arrêt IMMO MI, clause contraire, ou conservation par le vendeur d’un intérêt à agir : par exemple, le préjudice de jouissance causé depuis l’apparition des désordres jusqu’à la vente de son lot)

En pratique et en effet, il est difficile d’obtenir l’information relative aux mutations, et encore plus de se fier aux informations résultant de la publication au SPF dont le retard chronique impose d’attendre plusieurs mois avant que la mutation n’apparaisse (à moins de dénier tout effet à ce retard en soutenant que c’est la publicité foncière qui rend la mutation opposable aux tiers, et, par extension, invocable par un tiers ?)

Dans une affaire réunissant 58 copropriétaires demandeurs, dans un ensemble immobilier logeant de nombreuses familles de militaires sujets à mutations fréquentes, la Cour de Grenoble a admis comme probante la production du registre des copropriétaires que le syndic a l’obligation de tenir et d’actualiser dès qu’il est informé d’une mutation, production réalisée à quelques jours du prononcé de la clôture de la mise en état.

b. En revanche, la qualité de co-contractant retrouve son intérêt pour l’action en responsabilité contractuelle de droit commun, ce que souligne l’arrêt.

L’arrêt ne permet pas de savoir si la solution a été donnée dans une circonstance où les conditions objectives de la responsabilité décennale étaient par ailleurs réunies.

La question se pose : le litige a commencé par la revendication d’un solde contractuel et une protestation rapide, en retour, sur la qualité des travaux, ce qui fait douter du prononcé d’une réception expresse et encore plus de l’acquisition d’une réception tacite.

L’action en responsabilité contractuelle resterait-elle ouverte au maître d’ouvrage non propriétaire si le propriétaire était en mesure d’exercer l’action en responsabilité décennale, concurremment avec celle-ci ?

La réunion des conditions objectives de la responsabilité décennale interdirait au propriétaire d’agir sur le fondement contractuel…mais au maître d’ouvrage non propriétaire ? La question n’est pas sans intérêt tant il est vrai que le propriétaire peut manifester une certaine inertie à agir en responsabilité décennale pour des malfaçons affectant des ouvrages qu’il n’a pas commandés, et dont il n’aura probablement pas à bref délai le bénéfice étant dépossédé par l’effet d’un bail commercial ou, comme dans la présente affaire, d’un démembrement du droit de propriété.

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